Contexte historique. La vie de Pierre Fourier s’étale sur deux périodes contrastées : une période bienheureuse lors du règne des ducs de Lorraine dont il était le conseiller (Charles III (de 1545 à 1608) et son fils Henri II (de 1608 à 1624)) ; et une période malheureuse qui le mena à l’exil pendant la Guerre de Trente Ans (1618-1648), avec l'occupation des duchés par la France et ses alliés.
Une enfance pieuse et studieuse. Pierre Fourier naît à Mirecourt (Vosges) en Lorraine, le jour de la Saint-André (30 novembre) 1565, au début de la neuvaine à l'Immaculée Conception. Issu d'une famille de marchands de tissus comme saint François d'Assise, il grandit avec ses frères Jacques et Jean et sa sœur Marie : en donnant de tels prénoms, les parents voulaient qu’ils se souviennent de leur vocation à la sainteté. Le contexte du temps est marqué par l'application du Concile de Trente, terminé en 1563, et par la victoire de Lépante contre les Ottomans le 7 octobre 1571. Dés son enfance, il est un élève studieux et priant, à un tel point qu'après de brillantes études chez les Jésuites de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), il est connu par cet adage : « Soit il prie, soit il étudie. »
Un homme de prière. En 1585, Pierre Fourier, âgé de 20 ans, décide de se consacrer entièrement à Dieu chez les Chanoines réguliers de saint Augustin, à Chaumousey près d’Épinal (Vosges). Ordonné diacre en 1588 et prêtre en 1589 à Trèves en Allemagne, il célèbre sa première messe à l'abbaye de Chaumousey le 24 juin. Il revient ensuite à l'Université de Pont-à-Mousson, où il suit pendant sept ans des études de théologie et de droit. Il est formé à la théologie de saint Thomas d’Aquin. La Lorraine, partie intégrante du Saint Empire romain germanique, connaît à cette époque une période marquée par le déclin du régime féodal et l'affermissement de l'autorité de l'État. Il revient à l'abbaye de Chaumousey en 1595 et administre la paroisse du village qui dépend de l'abbaye jusqu'en 1597. C’est cette même année, le 1er juin, qu’il arrive à Mattaincourt (Vosges) pour y vivre un long ministère de presque 40 ans en appliquant sa devise : « Ne nuire à personne, être utile à tous. » On dit que, quatre décennies plus tard, les paroissiens se souvenaient encore de son premier sermon, marqué par une gravité solennelle. Cette paroisse où résident de nombreux foyers protestants est alors considérée par les autorités catholiques comme un village déchristianisé.
Le « Bon Père de Mattaincourt ». Proche de tous les petits et des humbles, le « Bon Père de Mattaincourt » est l'inventeur du premier « crédit mutuel » en instituant la « Bourse de Saint-Epvre » : une caisse de prévoyance et de secours mutuel pour distribuer des vivres aux miséreux et qui prête sans gage et sans intérêt aux artisans en difficulté. Il organise aussi une soupe populaire et crée un système d'entraide proche de l’actuel Secours Catholique appelée alors « Petite dévotionnette »[1], composé d’une équipe de cinq à six laïques qui collectent des vivres et les distribuent. Le Père Fourier promeut par ailleurs des règles d’hygiène simples auprès de la population (nourriture saine, salubrité des locaux, pureté de l'eau) et lutte sans se dérober contre la Grande Peste de 1631-1632 en transmettant notamment à ses paroissiens les pratiques pour limiter la propagation du fléau. Lorsque des religieuses lui conseilleront de quitter la paroisse pour échapper à la peste, il leur répondra : « Mes bonnes sœurs, si vous saviez ce que c'est d'être curé, c'est-à-dire pasteur des peuples, père, mère, capitaine, garde, guide, sentinelle, médecin, avocat, procureur, intermédiaire, nourricier, exemple, miroir, tout à tous, vous vous garderiez bien de désirer que je m'absente de ma paroisse durant cette saison » (Lettre du 23 Mai 1631 aux Sœurs de Bar-le-Duc). Sa générosité est sans pareille : un soldat de passage, à qui le Père offrit un bon repas le jour de Pâques, lui lance : « Je suis content. Je prie Dieu de bon cœur, pour l’honneur de Son Église, que tous les curés vous ressemblent ! »
Un enseignant dans l’âme. Attentif à la nécessité d’instruire les petites filles de Lorraine, le Père Fourier fonde avec la future bienheureuse Alix Le Clerc (1576-1622), native de Remiremont (Vosges), dont il est le directeur spirituel, la Congrégation enseignante des Sœurs de Notre-Dame (appelée également la congrégation des Chanoinesses de Saint-Augustin). La première de ces écoles gratuites ouvre en 1598 à Poussay à moins de 10 km au nord de Mattaincourt. Grâce à l’ouverture d’esprit du Père, les religieuses enseignantes feront aussi la classe aux petites protestantes dont on respecte les croyances. Au cours de cette expérience, le Père Fourier invente le désormais célèbre « tableau noir » pour l'apprentissage de la lecture en commun. Le cardinal Charles de Lorraine approuve les statuts de la congrégation le 8 décembre 1603, tandis que le pape Urbain VIII donnera son accord en 1628. De nombreuses écoles s’ouvrent dans tout l’Est de la France actuelle (Nancy, Verdun, Bar-le-Duc, Mirecourt…), et jusqu’à Luxembourg en 1627. À la Révolution, la congrégation comptait 84 monastères et 4 000 religieuses.
En exil. Vivant la charité et la miséricorde dans sa paroisse, située entre Mirecourt et Vittel, il devient également le conseiller des ducs de Lorraine à un tel point qu'en 1636, il doit fuir en exil en Franche-Comté, poursuivi par le cardinal Richelieu qui veut rattacher la Lorraine à la France. Après quatre années finales de prières ferventes dans la ville de Gray (Haute-Saône) au diocèse de Besançon, il s'endort dans la Paix du Seigneur au lendemain de la fête de l'Immaculée Conception, le 9 décembre 1640, après ces paroles : « Nous avons un bon Souverain : Notre Seigneur, et une bonne Souveraine : Notre-Dame », si bien que son cœur est gardé dans un reliquaire en la basilique Notre-Dame de Gray. Saint Pierre Fourier écrivait : « Je veux mettre ma plume entre les mains de Notre-Dame et ne plus rien écrire qu’en sa présence. »
Un précurseur devenu saint. Prêtre marial aux orientations sociales, Pierre Fourier est béatifié par le pape Benoît XIII le 29 janvier 1730 et canonisé le 27 mai 1897, voici 120 ans, par Léon XIII. Il repose maintenant dans la basilique qui porte son nom, à Mattaincourt dans le diocèse de Saint-Dié, où il est vénéré comme saint patron des éducateurs et des prêtres de Lorraine. Liturgiquement, il est commémoré le 9 décembre. Ses biographes l’ont décrit comme un pionnier de la Réforme catholique (dans le sillage du Concile de Trente) et en matière d'éducation (enseignement des filles et développement de la méthode pédagogique dite « simultanée » où tous les élèves travaillent la même chose en même temps). [1] Pierre Fourier, Sa Correspondance 1598-1640 recueillie par Sœur Hélène Derréal. Presses Universitaires de Nancy 1989, tome 3, page 391. ComplémentsLa méthode de saint Pierre Fourier.
« Pour tout ce qui concerne l'enseignement et le choix des maîtresses, les prescriptions sont empreintes de la plus grande sagesse. Un chapitre mérite une attention particulière : « Ce n'est pas assez de garder les écolières et de les bien enseigner, il faut encore les bien conduire et gouverner. » Le bienheureux père veut de l'autorité dans les maîtresses, « parce qu'elle est entièrement nécessaire dans le petit gouvernement des filles », mais il veut « une autorité appuyée sur la douceur, la confiance, une affection toute pure et non sur la crainte ; on ne doit pas, dans les châtiments à infliger aux enfants, employer une violence importune, mais de bonnes raisons et sages remontrances. »
« Les élèves apprendront leurs prières en répétant après la maîtresse tous les mots, les uns après les autres, une à une, deux à deux, ou quatre ou six ensemble, en les répétant souvent, en écoutant les réciter par d'autres, en les étudiant chacune sur les livres. »
Pour la lecture, les moindres diront deux ou trois lettres, et les répéteront cinq ou six fois ; autres diront les syllabes une à une, et les mettront ensemble ; autres diront les mots, et liront un verset, ou deux ou trois fois.
Parfois la maîtresse en prendra quatre ou six à la fois, les plus égales en capacité, et les recordera toutes, l'une après l'autre ; les autres cinq étant tout proche, écouteront tout et regardant dans leurs heures les diront tout bas.
« Quelquefois on les exercera toutes ensemble sur quelque tableau. Tant que faire se pourra, que toutes ayant chacune un même livre, pour y apprendre. Les règles tracées par Fourier ne sont pas autres que celles qui sont recommandées et appliquées aujourd'hui. Elles émanent d'un homme de bien, d'une âme chrétienne, honnête et pure, d'un pasteur dont l'humilité et l'austérité sont devenues proverbiales.
« [Les filles devront] lire toutes ensemble une même leçon, afin que, tandis que l'une d'elles prononcera la sienne à voix haute, toutes les autres l'entendant et la regardant dans leur livre, elles l'apprennent plus tôt et plus parfaitement. »
Il va plus loin : « Une maîtresse se mettant à recorder fera venir les deux premières apariées de son banc ; la plus avancée lira sa leçon, l'autre l'écoutera et la reprendra de toutes les fautes qu'elle y commettra. Celle-ci ayant achevé sa leçon, l'autre lira la sienne, et y sera écoutée et reprise par sa compagne. Les deux premières étant récordées, deux autres viendront, et puis deux autres, ainsi de suite. »
Pour l'écriture, les maîtresses « écriront quelques lettres, ou syllabes, ou lignes, selon la capacité des écolières, lesquelles prendront leurs exemples et écriront à loisir. Elles donneront, de temps en temps, tantôt aux unes, tantôt aux autres, tantôt à toutes en commun, certaines règles générales. Pendant qu'elles écriront, les maîtresses prendront garde si elles les observent.
Pour l'orthographe, on apprendra d'abord les règles de la grammaire ; puis on dictera quatre ou cinq lignes, ou peu plus, ou peu moins ; l'une répétera chaque mot fait à fait ; le tout achevé, elle antéra (épellera) hautement et posément tous les mots de ce sien écrit, et les autres regarderont les leurs et les corrigeront.
Quant à l'arithmétique, « on représentera les chiffres et la valeur d'iceux et leur assemblage, par de petites sommes au commencement, et dans des plus grandes par après, sur une ardoise, ou planche, ou tableau, attaché en un lieu éminent de l'école, en sorte que toutes le puissent aisément voir, et y être instruites toutes ensemble. » »
(Jules Malgras, Le bienheureux Père Fourier et le pasteur Oberlin, notice sur les écoles en 1620 et les salles d’asile en 1770, Impr. Impériale, 1865 ; orthographe modernisée)
Enseignement et dévotion mariale.
« Pour exciter les enfants davantage à faire leur devoir, la Mère Intendante mettra en chaque classe deux bancs tout différents, l’un s’appellera le banc de victoire, de triomphe, de couronnement de la Vierge, à l’endroit duquel sera attachée une belle couronne et une image de la Vierge plus bas. Ce banc sera préparé pour y mettre les écolières qui durant une semaine entière n’auront fait aucune faute en lisant leurs leçons, ou bien en disant leurs prières, ou en récitant le catéchisme et qui, outre cela, n’auront pas manqué de venir à toutes les leçons par l’espace d’un mois, ou qui auront fait en autre manière quelque grande vaillance. Durant tout le temps que ces victorieuses filles se tiendront sur ce banc, elles auront le privilège supplier la Mère Maîtresse de la classe qu’il lui plaise demander tous les jours, à l’intention d’elles et de leurs pères et mères, un Ave Maria de toutes les écolières de la même classe ; et la Mère Maîtresse les exauçant bénignement en considération de leur diligence et parfaite bonté, fera réciter à voix haute cet Ave Maria, après les prières ordinaires qui se disent immédiatement avant l’issue des classes. »
(Les vrayes constitutions des religieuses de la congrégation de Nostre Dame, faictes par le très révérend Père Pierre Fourier, 1649, Chapitre V, § 11, p. 16)
Sources documentaires- Saint Pierre Fourier, Correspondance, 1598 - 1640. Presses Universitaires de Nancy, 1986 - 1991 (5 volumes)
- Andriot Cédric, Le récit de miracle au XVIIe siècle, autour de la béatification de Pierre Fourier, dans Annales de l'Est, n° spécial, 2012.
- Andriot Cédric, « Les territoires évêchois vus par Pierre Fourier », dans CRULH, Metz, n°49, 2013.
- Andriot Cédric, « Les enfants uniques de Pierre Fourier. La dispute des clercs réguliers et des chanoines de Latran », dans Annales de l'Est, n° spécial, 2013.
- Andriot Cédric, « La correspondance comme enjeu mémoriel. Le cas de Pierre Fourier », dans P. Martin, La correspondance. Le mythe de l'individu dévoilé ?, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 2014.
- Andriot Cédric, « Pierre Fourier et les cavaliers de l'Apocalypse », dans B. Forclaz et P. Martin, Religion et piété au défi de la guerre de Trente ans, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
- Bazelaire Édouard (de), Le bienheureux Pierre Fourier, curé, réformateur d'ordre et fondateur, Clermont-Ferrand, La librairie catholique, 1853 (2e édition).
- « La Pastorale, l'Éducation, l'Europe Chrétienne », textes de Saint Pierre Fourier, choisis et commentés par René Tavenaux, Paris, Ed. Messenne 1995.