Les « prodiges » de Laghet. En 1652, plusieurs « prodiges » ont lieu : Hyacinthe Casanova, habitant de Monaco atteint de la lèpre, il est guéri en invoquant Notre-Dame de Laghet ; Gian Gôme, monégasque elle aussi, effectue une neuvaine de visites à Laghet les jours de fête pour obtenir la libération de son fils enlevé par les pirates barbaresques et réduit en esclavage en Afrique du Nord : son fils revient ! Marie Aicard, une habitante de la Turbie (Alpes-Maritimes), est très perturbée, épileptique, possédée du démon. Quand Don Fighiera prie pour elle à Laghet, la voilà délivrée.
La reconnaissance officielle du culte à Notre-Dame de Laghet. Le bruit de ces « prodiges » s'étant répandu, les pèlerins affluent de toute la région niçoise, de la principauté de Monaco, de la Ligurie (république de Gênes) et de la Provence. La duchesse de Savoie, Christine de France (fille du roi Henri IV et sœur de Louis XIII), régente pour son fils mineur Charles-Emmanuel II, est informée et décide de faire des dons au sanctuaire. L'évêque de Nice, Mgr Didier de Palletis, appliquant les décisions du concile de Trente, ordonne une enquête sur les événements de Laghet. Une commission composée du vicaire général, de religieux théologiens, d'un médecin et d'un notaire examine les récits des témoins et les attestations des guérisons. Vingt-deux miracles sont reconnus ; l'évêque approuve officiellement le culte à Notre-Dame de Laghet le 26 décembre 1653.
Les Niçois et Laghet. À l’époque, la ville de Nice décide de placer une statue de Notre-Dame de Laghet sur chaque porte de la cité et s'associe avec enthousiasme au premier pèlerinage officiel présidé par l'évêque (avril 1654). Tous : évêque, clergé, autorités, confréries de pénitents et peuple chrétien, montent à pied à Laghet parcourant ensemble les 15 km qui les séparent du sanctuaire. Les consuls offrent 100 écus d'or pour apporter l'eau d'une source à la fontaine installée sur la place du sanctuaire, comme en témoigne une belle inscription latine. Le sanctuaire est ainsi le témoin de l'histoire du comté de Nice, qui a fait partie des États de Savoie de 1388 à 1860, mais qui a souvent été envahi par les Français, les Espagnols ou les Autrichiens lors des guerres entre la France et la maison d'Autriche, pendant lesquelles les États de Savoie étaient alliés à l'une ou à l'autre... Les inscriptions mentionnant les indulgences accordées par les évêques de Nice dans le cloître sont écrites en italien avant 1860 (langue officielle, alors que les habitants parlaient niçois), en français depuis.
L’aménagement de l’église. Au milieu du XVIIe siècle, l'évêque décide la construction d'une église plus grande pour accueillir des fidèles toujours plus nombreux. Grâce aux dons qui affluent, le bâtiment est construit en peu de temps et inauguré le 21 novembre 1656. Il est bâti dans le même style baroque « nisso-ligure » que les églises niçoises contemporaines : l'église du Gesù, la cathédrale Sainte-Réparate, l'église de l'Escarène… Dans le contexte de la Contre-Réforme, nos yeux sont guidés vers le retable du chœur, lieu où l'univers céleste (évoqué par les anges qui peuplent les voûtes et les arcs) rejoint le monde terrestre. Au centre du retable, Notre-Dame nous présente Jésus qui tient le livre des évangiles, avec l'inscription (en latin) : « Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (allusion à la parole du Christ au sujet de la loi divine, selon Matthieu V, 17). Surtout, elle nous invite à regarder vers le tabernacle, au centre, lieu de la Présence réelle du Christ ressuscité. L'Esprit-Saint en gloire a été disposé en 1964 au-dessus de la statue de Notre-Dame, en lieu et place d'une figure du Père céleste, peu conforme à la tradition iconographique chrétienne.
La présence des Pères Carmes. Pour desservir le nouveau sanctuaire, Mgr Provana de Leyni, évêque de Nice et ancien provincial des Carmes, fait venir de Turin des Carmes déchaux (carmes réformés par sainte Thèrèse d'Avila et saint Jean de la Croix) en 1674. Pendant plus de deux siècles (jusqu'en 1903), les Pères Carmes vont animer ce lieu. L'église est dédiée à Notre Dame du Mont Carmel (dont la fête patronale est le 16 juillet), un autel latéral est dédié à sainte Thérèse d'Avila et l'autre à saint Joseph pour qui le Carmel a une grande dévotion. Le 15 octobre, a lieu le grand pèlerinage d'automne. L'emblème du Carmel (une montagne stylisée surmontée d'une croix avec trois étoiles, représentant les trois vertus théologales : foi, espérance et charité, ou les trois vœux monastiques : chasteté, pauvreté, obéissance) se retrouve sur l'autel majeur, dans le cloître et dans l'ancienne salle capitulaire (devenue salle de réfectoire). Le vitrail au-dessus du chœur représente saint Simon Stock recevant le scapulaire des mains de la Vierge Marie le 16 juillet 1251.
L’histoire de France conditionne l’histoire de Laghet. La Révolution française a causé de grands dommages au sanctuaire. Comme les Pères Carmes avaient fui avant l'arrivée des soldats en 1792, c'est un employé du sanctuaire, Denis Lanteri, fils d'un berger de Tende et marié avec une fille de la Turbie, qui sauve la statue de la Vierge du pillage en la cachant dans sa maison pendant les années de la Terreur. En 1796 ou 1797, la statue est ramenée triomphalement à Laghet et le culte peut reprendre au sanctuaire avec des prêtres diocésains. En 1814, le congrès de Vienne rend le comté de Nice à la maison de Savoie (royaume de Piémont-Sardaigne) et les Pères Carmes reviennent deux ans plus tard.
En 1855, le Piémont gouverné par le ministre Cavour adopte une politique anticléricale. La « loi d'incamération », qui retirait la personnalité juridique aux congrégations ne présentant pas d’utilité sociale, confisque les biens des ordres religieux au profit de l'État piémontais. Les Carmes peuvent rester sur place à titre précaire, mais le sanctuaire devient propriété de l'État piémontais.
En 1860, le comté de Nice est réuni à la France, en récompense de son rôle dans l’unité italienne, après un vote largement positif de la population. Mgr Sola, évêque de Nice, avait conseillé de voter « oui », ce qui lui vaudra la Légion d'honneur remise par Napoléon III lors de sa visite à Nice. Le sanctuaire devient propriété de l'État français. Des manœuvres visent à faire partir les Pères Carmes piémontais qui sont alors remplacés par des Carmes français... Il faudra l'intervention de Rome pour obliger un chanoine niçois qui avait racheté les bâtiments à l'État dans une vente aux enchères à les restituer aux Pères Carmes. Mais l'interdiction des congrégations religieuses « non reconnues » par le gouvernement anticlérical d’Émile Combes conduit à l'expulsion des Pères Carmes et à la fermeture du sanctuaire en 1903. Peu de temps auparavant, la statue de Notre-Dame de Laghet, dite aussi Notre-Dame des Prodiges, était cependant couronnée le 19 avril 1900 par Mgr Lecot, cardinal archevêque de Bordeaux.
Le chanoine Dalbera, originaire de Cantaron (Alpes-Maritimes), organise une souscription pour racheter à l'État le monastère confisqué. Mgr Chapon, évêque de Nice, érige Laghet en paroisse et obtient la réouverture de l'église pour le culte en 1907. Il installe un petit séminaire. Plusieurs anciens élèves, mobilisés en 1914, meurent au « champ d'honneur » : leurs noms sont inscrits sur le monument aux morts dans le cloître, à côté de ceux des habitants de Laghet. Mgr Rémond transfère le petit séminaire à Cannes en 1930, le sanctuaire devient un lieu de retraites spirituelles et continue d'accueillir les pèlerins. Après les fêtes du tricentenaire en 1952, l’église est restaurée à partir de 1964 par son recteur, le Père Pierre Silvy.
Le fonctionnement du sanctuaire aujourd’hui. En 1978, le diocèse appelle les Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre. À Laghet, elles chantent les offices de la Liturgie des Heures et se relaient pour l'adoration eucharistique et le chapelet de l'après-midi. Elles assurent aussi l'accueil des pèlerins, l'hôtellerie et la restauration, en collaboration avec les prêtres et sous l'autorité du recteur nommé par l'évêque. Le sanctuaire organise également des rassemblements diocésains, des rencontres des prêtres avec l'évêque, des recollections et des sessions ; il accueille des groupes de jeunes (retraites de communion ou de confirmation) ou des scouts qui peuvent camper dans le vallon, etc. Il y a toujours un prêtre au bureau d'accueil pour confesser, bénir médailles et chapelets, recevoir les confidences, répondre aux questions... Les croyants continuent à apporter des ex-voto, témoigner des grâces reçues et certains demandent à se préparer au baptême ou à la confirmation. Le séminaire diocésain, rouvert par Mgr Bonfils, y a fonctionné de 2002 à 2013 avec le Père Gautheron puis le Père Ruiz comme supérieurs. Une vingtaine de prêtres de Nice et de Monaco y ont été formés (ainsi qu'un de Vintimille). Depuis 2013, les séminaristes sont à Aix-en-Provence.
Aujourd’hui, l'État est toujours propriétaire de l'église et du cloître, classés monuments historiques. Dans les années 1980, les bâtiments sont restaurés grâce à l'action des Pères Silvy et Lanza, recteurs, avec l'aide de la ville de Nice, de la principauté de Monaco et des collectivités locales. L'esplanade est couverte par une tente métallique (architecte : Bernard Camous). Les chandeliers et les pupitres de la chapelle ont été réalisés par Jean-Pierre Augier, artiste établi à Levens. La DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) a restauré récemment le cloître. Les bâtiments qui entourent l'église et le domaine sont propriété de l'association diocésaine de Nice.
Qui sont les pèlerins à Laghet ? Ils sont plus de 100 000 par an, et viennent de la région niçoise, de la principauté de Monaco, de l'Italie voisine (diocèses de Vintimille San Remo et d'Albenga - Imperia) et même de Gênes. Saint François-Marie de Camporosso (1804-1866), Frère capucin très populaire à Gênes, avait été guéri enfant grâce à Notre-Dame de Laghet et portait toujours sur lui une image de Notre-Dame de Laghet qu'il faisait embrasser lorsqu'il parcourait les rues de Gênes et les quais du port, comme Frère quêteur. En 1866, le choléra s'étant déclaré à Gênes, il offrit sa vie. Après sa mort le 17 septembre, l'épidémie cessa aussitôt. Notons aussi que le pape saint Jean XXIII, alors nonce apostolique en France, présida les célébrations des 300 ans de Laghet en 1952.
Le sanctuaire est ainsi un lieu de rencontres entre Français, Italiens et Monégasques, mais accueille aussi des pèlerins venus de partout... Notre Dame continue à y faire sentir la tendresse de Dieu pour tous ceux qui s'adressent à elle, et qu'elle adresse à son divin Fils.