ComplémentsDéclaration de l'évêque de Gikongoro, Mgr Augustin Misago, portant jugement définitif sur les faits dits « apparitions de Kibeho », le 29 Juin 2001.
À mes frères dans le sacerdoce, aux religieux et aux religieuses, à tous les fidèles laïcs ;
Grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ, son Verbe incarné (cf. 1 Corinthiens I, 3). Vingt ans déjà se sont écoulés depuis que des événements dits « Apparitions de Kibeho » ont commencé et qu'ils font l'objet d'une enquête canonique. Plusieurs parmi vous ont eu sans doute l'occasion de se rendre sur le lieu pour assister personnellement au déroulement de ce genre de phénomènes ; bien d'autres les ont suivis à travers les média. À l'époque de leurs premiers développements, Kibeho faisait partie du diocèse de Butare dont l'évêque était alors Mgr Jean-Baptiste GAHAMANYI. Celui-ci eut à gérer la situation durant au moins dix ans avant la fondation du diocèse de Gikongoro en 1992. Il n'a épargné aucun effort pour suivre de très près ces événements insolites. Ainsi deux commissions d'étude ont été mises en place pour cela. À la date du 15 août 1988, il jugea opportun d'approuver un culte public en rapport avec ces événements. Mais tout en reconnaissant ce culte, il a laissé volontairement en suspens au moins deux questions importantes, dont la solution est pourtant capitale pour l'avenir :
La Vierge Marie ou Jésus sont-ils apparus à Kibeho comme des voyants présumés le disent ? Si oui, quel voyant ou voyante pourrait-on reconnaître, étant donné le grand nombre de personnes qui, au fil des jours, ont commencé à prétendre être favorisées de visions et d'apparitions ?
J'estime que le temps est maintenant arrivé pour l'autorité ecclésiastique compétente de se prononcer définitivement à ce sujet. (…)
Moi, Augustin MISAGO, par la volonté de Dieu et l'autorité du Siège Apostolique, premier évêque du diocèse de Gikongoro, lieu où se sont produits des événements dits "Apparitions de Kibeho" :
- Vu les différents rapports présentés par les commissions d'étude, médicale et théologique, à pied d'œuvre depuis leur création en 1982 ;
- Tenant compte aussi du résultat de mes propres investigations menées patiemment, surtout depuis mon ordination épiscopale en juin 1992 comme nouvel Ordinaire du lieu ;
- Attentif aux directives données par le Saint-Siège en ce domaine ;
- Considérant le fait qu'un culte public sur le lieu des apparitions a été approuvé officiellement le 15 août 1988 par mon prédécesseur Mgr Jean-Baptiste Gahamanyi, évêque du diocèse de Butare, dont Kibeho faisait alors partie, et que ce culte est exercé sans interruption depuis treize ans déjà, bien que dans des conditions rendues difficiles par la guerre et l'insécurité dont le pays a beaucoup souffert depuis Octobre 1990 ;
- Attendu qu'au sujet des voyantes du début aucune objection décisive n'a été formulée contre les apparitions ; qu'au contraire les arguments en faveur de leur caractère surnaturel paraissent très sérieux, et que le recul des années n'a fait que rendre ces arguments plus impressionnants ;
- Considérant surtout le contenu de ce qu'on peut appeler le message de Kibeho, ainsi que les fruits spirituels qu'il a déjà suscités dans le peuple de Dieu ;
- Considérant en outre l'évolution personnelle des différents voyants présumés, répertoriés au 28 novembre 1983 et qui ont fait l'objet d'un examen par les commissions, d'une façon ou d'une autre ;
- Voulant répondre à la légitime impatience de tant de chrétiens qui réclament depuis longtemps de l'autorité ecclésiastique une décision, que des motifs de prudence et d'opportunité m'ont fait retarder ;
- Ayant prié l'Esprit Saint de m'assister, et invoqué la Vierge Marie, la mère de Jésus notre Sauveur et la mère des croyants ;
- Après avoir consulté les commissions ad hoc, et informé la Conférence Episcopale ;
JE DECLARE ce qui suit, en ma qualité d'Ordinaire du lieu :
1°. Oui, la Vierge Marie est apparue à Kibeho dans la journée du 28 novembre 1981 et au cours des mois qui ont suivi. Il y a plus de bonnes raisons d'y croire que de le nier.
À cet égard, seules les trois voyantes du début méritent d'être retenues comme authentiques : il s'agit d’Alphonsine MUMUREKE, Nathalie MUKAMAZIMPAKA, et Marie Claire MUKANGANGO. La Vierge s'est manifestée à elles sous le vocable de « Nyina wa Jambo », c'est-à-dire « Mère du Verbe » : ce qui est synonyme de « Umubyeyi w'Imana », c'est-à-dire « Mère de Dieu », comme elle l'a expliqué. Ces voyantes de Marie disent la voir tantôt les mains jointes, tantôt les bras étendus. (…)
7°. Parmi les signes de crédibilité des apparitions, on peut mentionner, entre autres, des faits tels que :
- la bonne santé mentale, l'équilibre humain, la lucidité et la sincérité des voyantes attestés par les conclusions de la commission des médecins comprenant un psychiatre ;
- le climat vraiment pieux et sincère dans lequel se sont déroulés ces événements ;
- une absence de recherche du sensationnel chez les voyantes, ce qui peut signifier que les apparitions ne se produisaient pas de façon automatique ou bien téléguidée ;
- la non-contradiction des voyantes quant aux messages et aux comportements ;
- la réalité des extases qui n'ont rien de maladif ou d'hystérique, d'après les différents tests et examens effectués par les commissions ;
- le naturel, la cohérence et la simplicité des « dialogues » avec l'Apparition ;
- le fait que certaines paroles qui ont été dites manifestaient un niveau supérieur à la culture et à la formation religieuse des personnes qui les ont dites ;
- le phénomène de « voyages mystiques » pour Alphonsine d'abord (le 20 mars 1982) et pour Nathalie ensuite (le 30 octobre 1982) ;
- la journée du 15 août 1982 qui fut marquée notamment, contre toute attente, par des visions effroyables, qui dans la suite se sont avérées prophétiques au vu des drames humains vécus au Rwanda et dans l'ensemble des pays de notre région des Grands Lacs ces dernières années ;
- le jeûne extraordinaire de Nathalie durant le carême 1983, rigoureusement surveillé par la commission médicale, dont les membres n'étaient pas tous des catholiques ni des catholiques pratiquants ;
- mais surtout le message de Kibeho, dont le contenu reste cohérent, pertinent et orthodoxe ;
- les fruits spirituels déjà suscités par ces événements à travers le pays et même à l'étranger ;
On ne peut attacher aucune valeur probante aux soi-disant phénomènes solaires que l'un ou l'autre prétendu voyant postérieur aux trois maintenant reconnues, a cru voir et tentait de faire voir aux foules de pèlerins de Kibeho, notamment dans le courant de novembre 1982, peu après les 17 h. Il n'y a là aucun miracle ; des témoins différents et dignes de foi donnent une explication naturelle du phénomène, qui paraît bien fondée et incontournable. (…)
-------------------
Les trois voyantes :
Alphonsine Mumureke.
Alphonsine naquit le 21 mars 1965 à Cyizihira, dans la paroisse de Zaza, diocèse de Kibungo. Au moment des apparitions, elle venait d’être admise au collège de Kibeho en octobre 1981, juste après ses études primaires. La première apparition d’Alphonsine eut lieu le 28 novembre 1981, et la dernière le 28 novembre 1989. À la fin de ses études à Kibeho, Alphonsine fut embauchée immédiatement par le diocèse de Butare comme secrétaire. C’est là qu’elle a vécu la tragédie des massacres et du génocide survenus en 1994. Pour sa sécurité, elle dut se réfugier au presbytère de la paroisse de Gikongoro. Dans la suite, pour fuir des combats et climat d’insécurité généralisée à travers le pays, elle partit avec des amis vers le Zaïre (aujourd’hui R.D. Congo). À Bukavu, elle fut aussitôt prise en charge par certaines familles du lieu qui l’avaient connue à Kibeho à l’occasion des apparitions ou des pèlerinages. Quelques semaines plus tard, elle poursuivit sa route jusqu’en Côte d’Ivoire, plus exactement à Abidjan. Elle entra en contact avec le père Raymond Halter, un prêtre marianiste, qui la connaissait depuis l’époque des apparitions. Il devint son directeur spirituel et veilla sur elle jusqu’à sa mort en décembre 1998. Après avoir obtenu un baccalauréat en théologie en juin 2003, avec une spécialisation en catéchèse, Alphonsine est entrée au monastère Sainte-Claire d’Abidjan (Sœurs Clarisses). La prise d’habit religieux eut lieu le 26 juillet 2004 avec le début du noviciat. Les cérémonies de profession religieuse temporaire ont eu lieu le 15 juillet 2006. La jeune professe répond désormais au nom d’« Alphonsine de la Croix Glorieuse ».
Nathalie Mukamazimpaka.
Nathalie naquit en 1964 à Munini dans l’actuel district de Nyaruguru, paroisse de Muganza, diocèse de Gikongoro. Au moment des apparitions, elle était inscrite au collège de Kibeho en 4e année de la section normale primaire. Nathalie est connue surtout pour le message sur la souffrance expiatoire et sur la prière incessante pour un monde en crise qui risque de tomber dans un gouffre. La première apparition de la Vierge à Nathalie eut lieu le 12 janvier 1982, et la dernière le 3 décembre 1983. Elle n’a pas achevé ses études secondaires, alors qu’au début des apparitions il ne lui restait qu’une année pour pouvoir obtenir un diplôme l’habilitant à exercer la profession d’enseignante d’école primaire. En effet, suivant le message de l’apparition du 24 juin 1982, la Vierge Marie lui aurait demandé de demeurer à Kibeho jusqu’à nouvel ordre, où elle devrait s’adonner davantage à la prière et aux mortifications pour le Salut du monde. Nathalie s’est toujours efforcée de vivre ce message de son mieux. Au moment de la guerre civile et du génocide de 1994, elle est restée à Kibeho où elle a été témoin des actes de massacre du génocide perpétrés contre des innocents. Elle n’a sans doute pas manqué de faire avec douleur une relecture du message des apparitions, notamment celle du 15 août 1982. Début juillet 1994, à la demande de son évêque, elle a dû quitter Kibeho en catastrophe à la recherche d’une plus grande sécurité. Elle se replia momentanément sur l’évêché de Gikongoro. De là, elle poursuivit sa route avec beaucoup d’autres réfugiés désemparés – y compris des prêtres, des religieux et des religieuses, toutes ethnies confondues – jusqu’à Bukavu dans l’ex-Zaïre. Elle a pu regagner le Rwanda début décembre 1996. Depuis, elle continue à se dépenser généreusement pour le sanctuaire marial et s’associe volontiers à la prière des pèlerins. Bien souvent, c’est elle qui accueille des pèlerins individuels.
Marie Claire Mukangango.
Marie Claire naquit en 1961 à Rusekera, dans l’actuel district de Nyamagabe, paroisse de Mushubi, diocèse de Gikongoro. Au moment des apparitions, elle étudiait au collège de Kibeho, en 4e année de la section normale primaire. Comme voyante, elle est connue surtout pour le message au sujet du Chapelet des Sept Douleurs de la Vierge Marie, allant de pair avec un urgent appel au repentir : « Repentez-vous, repentez-vous, repentez-vous ! », disait la Vierge au monde par la bouche de Marie Claire. Sa première apparition eut lieu mardi le 2 mars 1982, et la dernière, le 15 septembre 1982. Elles n’ont donc duré que six mois et 15 jours. Elle termina avec succès ses études secondaires au collège de Kibeho en juillet 1983, couronnées par un diplôme du niveau A3, l’habilitant à exercer la profession d’enseignante d’école primaire. De fait, elle l’exerça d’abord dans sa paroisse natale de Mushubi à partir de septembre 1983, ensuite à Kigali à partir de septembre 1987. Marie Claire se maria religieusement le 22 août 1987 avec Elie Ntabadahiga, natif de la même paroisse. Ce dernier était un universitaire, journaliste à l’Orinfor (Office Rwandais d’Information). Ils formaient un ménage heureux, malheureusement resté sans enfant malgré leur vif désir d’en avoir. Ils résidaient à Kigali, dans le quartier de Gatsata, traversé par la route menant à Byumba. C’est dans ce quartier populaire qu’ils ont été surpris par des mercenaires du génocide de 1994. Conduits avec bien d’autres vers Byumba, ils y furent massacrés. La date et les circonstances exactes de leur mort ne sont pas encore bien établies.
Kibeho, lieu de conversion.
Notre-Dame de Kibeho a un lien indirect avec la France puisque c’est à Kibeho, en 1982, que s’est converti Cyprien Rugamba, célèbre poète rwandais, importateur avec sa femme Daphrose de la communauté charismatique française de l’Emmanuel au Rwanda en 1990. Né en 1935 dans le sud du Rwanda, Cyprien Rugamba suit une brillante scolarité et entre au grand séminaire pour se destiner à devenir prêtre. Mais il perd subitement la foi et se lance dans des études d’histoire. Poète, compositeur et musicien, il se fait le chantre de la culture rwandaise après l’indépendance en 1962 ; ses compétences sont reconnues par l’obtention de plusieurs postes prestigieux de haut fonctionnaire, notamment celui de directeur de l’Institut national de recherche scientifique. En janvier 1965, il se marie avec Daphrose Mukasanga, jeune enseignante née en 1944. Les premières années de mariage sont cependant très difficiles car Cyprien méprise profondément sa femme, qui prie patiemment pour sa conversion. C’est en 1982 qu’en visitant Kibeho, village proche de la région d’origine du couple, Cyprien revient soudain à la foi catholique. Cette conversion fait grand bruit dans le pays en raison des hautes responsabilités qu’il occupe. Devenant un couple fervent et très aimant, Cyprien et Daphrose rencontrent en 1989, à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), Pierre Goursat et la communauté de l’Emmanuel. Dès l’année suivante, ils implantent celle-ci au Rwanda, premier pays d’Afrique à accueillir la communauté. Les époux Rugamba exercent concrètement la charité envers de nombreux malades et des enfants abandonnés, formant ce qui est actuellement le « Centre Cyprien et Daphrose Rugamba ». Sentant monter les tensions ethniques dans son pays, Cyprien tente en vain de réconcilier Hutus et Tutsis, défendant « le parti de Jésus », et s’attire la haine des extrémistes. Dès le début du génocide de 1994, il est considéré comme une cible privilégiée : il est assassiné le 7 avril, avec sa femme Daphrose et six de leurs dix enfants, après avoir passé une nuit de prière et d’adoration eucharistique. Le 18 septembre 2015, l’archevêque de Kigali (capitale du Rwanda), Mgr Thaddée Ntihinyurwa, ouvre solennellement la cause de canonisation du couple. Pour lui, les premiers Serviteurs de Dieu au Rwanda sont sans doute un des fruits des apparitions de Notre-Dame de Kibeho. Un film documentaire récent, édité par la communauté de l’Emmanuel, J’entrerai au ciel en dansant (2016), évoque la vie de Cyprien et de Daphrose. En septembre 1990, au moment même de la fondation de l’Emmanuel au Rwanda, le pape Jean-Paul II en visite dans le pays avait déclaré : « Je suis convaincu que la sainteté existe parmi ceux qui se trouvent ici parmi vous, parmi votre peuple rwandais, parmi vos mariages, vos familles, j’en suis convaincu. Un des désirs que je porte en mon cœur est de pouvoir béatifier ou canoniser le plus tôt possible – il y en a un grand besoin – canoniser un couple. »
Mgr Misago, un évêque injustement accusé.
Né en 1943 dans le nord-est du Rwanda, Augustin Misago a été ordonné prêtre en 1971, avant de devenir en 1992 le premier évêque du nouveau diocèse de Gikongoro, dans le sud-ouest du pays, dans lequel se trouve Kibeho. Dans le cadre d’enquêtes sur l’implication supposée de l’Église dans les événements de 1994, Mgr Misago est arrêté et jugé en 1999, accusé d’avoir participé au génocide. Le procès bascule cependant lorsque l’un des dix enfants qu’il aurait tués, Jérôme Rugema, vient témoigner à la barre, à la surprise générale, expliquant au contraire que l’évêque lui a sauvé la vie ! Mgr Misago est alors innocenté. C’est lui qui reconnaît les apparitions de Kibeho le 29 juin 2001, avant de mourir le 12 mars 2012.